La Cartographie Sensible
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La Cartographie Sensible

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de chez soi, une feuille et un crayon à la main. Se promener au hasard ou selon un trajet défini. Dessiner ce que l’on voit et ce que l’on ressent. Une méthode simple pour un résultat efficace de présentation de son environnement. La carte sensible est le résultat de cette opération, et elle est la portée de tous.

Qu’est-ce que c’est ?

Repensez à la fois où vous vouliez expliquer à un ami comment accéder à un endroit. Après un moment, il ne comprend toujours pas. Vous prenez alors une feuille et un crayon, et vous tracez rapidement un pâté de maisons ou deux, vous rajoutez un endroit que vous connaissez tous les deux – « Mais si, juste ici c’est la boulangerie ! » -, puis un élément particulièrement visible – « Là, tu vas passer entre un grand arbre et un bâtiment blanc » – pour enfin arriver à destination – « Et normalement tu devrais entendre la rivière, à quelques mètres de toi ». Enfin, votre ami a compris…

Tout un procédé où vous avez joué le rôle de cartographe ! Après tout, la cartographie, telle que définie par le Larousse, est une « représentation spatiale d’une réalité non géographique ». L’objectif est donc de représenter de manière claire et simple une réalité donnée afin de permettre à son interlocuteur de comprendre aisément le résultat.

On retrouve 3 parties dans ce système : le cartographe (vous !), la carte (y compris vos gribouillis sur une feuille), et le lecteur (votre ami qui a du mal à s’y retrouver).

On comprend désormais ce qu’est une cartographie en général, mais que peut-elle avoir de sensible ? Créer une carte sensible, c’est exactement ce que vous avez fait précédemment : vous avez saisi des informations sur un trajet (la boulangerie, un arbre, un bâtiment, le son de la rivière), vous les avez dessinées et localisées (un point, un trait, une croix) pour ensuite les communiquer à votre interlocuteur. Le côté « sensible » de ce procédé est l’omission de certains éléments que certains estiment absolument nécessaires, notamment la notion d’échelle (la taille réelle du bâtiment ou la longueur de la rue). Laisser place à de la subjectivité c’est laisser exprimer sa perception de l’espace.

Pourquoi ?

Chacun se donne un objectif qui lui est propre : le cartographe sensible peut vouloir faire un état des lieux pour connaître son environnement, pour cibler les forces et faiblesses du lieu, pour multiplier les points de vue ou simplement pour le plaisir.

La cartographie sensible dépasse largement la sphère privée, et apparaît de plus en plus comme un réel outil de transformation de l’espace. Ainsi, un tel travail trouve sa place dans des comités de quartier, une classe, une CCATM (Commission Consultative communale d’Aménagement du Territoire et de Mobilité), la ligue des familles, les communes et des associations en tous genres – comme Tous à Pied. Le but est de confronter les points de vue, notamment entre professionnels et habitants, pour orienter les transformations de l’espace (besoins et attentes) et potentiellement mener à un système de cocréation de l’espace public.

Mais plus concrètement,

comment faire ? Pour savoir comment dessiner une carte sensible, il faut bien comprendre les 3 étapes de sa création : Saisir l’information – Représenter – Communiquer.

SAISIR

Choisissez tout d’abord votre équipe : seul ou à plusieurs ? Ensuite, votre sujet d’étude : votre commune, votre ville/village, une forêt, votre quartier, votre rue, votre jardin, votre salon, vos toilettes ? La liste est longue, et n’a comme limites que votre imagination.

Ensuite, il n’y a pas de secret : il faut déambuler et explorer. Prenez toutes les ruelles, allez jusqu’au bout des culs-de-sac, allez de chaque côté des routes et voies de chemin de fer, et arrêtez-vous quand bon vous semble. Vous pouvez aussi simplement faire un seul trajet, que vous le connaissiez ou non. Mais surtout, ouvrez-vous à votre environnement en mettant vos 5 sens à contribution. Bon, n’allez peut-être pas goûter tout ce que vous trouvez, limitez-vous aux 4 autres sens… Une méthode infaillible : (re)faire une simple promenade ou organiser/participer à une marche exploratoire. Vous pouvez faire un premier jet lors de votre balade, ou alors vous préférez attendre de rentrer pour commencer à dessiner, vous choisissez selon vos facilités. Ensuite il faudra remettre au propre, parfois en changeant un dessin, en allongeant une rue ou en supprimant certains traits. Si vous travaillez en groupe, chacun présente son œuvre à l’assemblée et un volontaire – l’organisateur de la marche ou un ami motivé – se chargera de compiler les informations de chacun pour ne terminer qu’avec une seule carte. Cette carte finale, discutée entre les participants, va ensuite pouvoir être publiée et/ou utilisée : une réunion pour améliorer son quartier ou pour désigner des problèmes dans une ville, ou simplement pour montrer à quel point notre quartier est agréable à traverser à pied.

Cet exercice peut également être réalisé depuis chez vous sur un trajet que vous connaissez bien – votre promenade habituelle du confinement, la balade de la semaine dernière ou votre trajet entre chez vous et votre travail. Le trajet étant connu, la plupart des informations sont bien ancrées dans la mémoire, il ne suffit alors que de prendre une feuille et un crayon et de se mettre au travail. Tentez l’expérience à plusieurs et vous pourrez comprendre comment on peut percevoir le même trajet d’une façon différente !

REPRESENTER

Lors de cette deuxième étape, vous allez tracer sur le papier tout ce qui vous a marqué pendant l’expérience. Cela peut être des éléments visuels : un bâtiment particulier, une plante précise, une couleur flash, etc. Ou des éléments non visuels : la texture d’un tronc d’arbre, un son, une odeur, la chaleur et le froid, le vent, une coupure dans le trajet, la lumière ou encore votre sentiment général d’un point particulier.

Que vous dessiniez en marchant ou assis devant une table, vous êtes sûrement en train de vous demander comment représenter une information en particulier. Pour un bâtiment, vous allez tenter de dessiner sa façade ou une perspective – parfaite ou non, ce n’est pas important. Pour un arbre ou une plante, vous allez dessiner sa forme entière, peut-être une feuille ou une fleur. Mais un son ? Une odeur ? Le vent et le froid ? Comment représenter visuellement des choses que vous-même n’avez pas pu voir ?

Certains vont dessiner la source de l’odeur (des fleurs ou une bouche d’égout) et des onomatopées pour le son (Ploc, Tuut, Pschitt), et une flamme ou un flocon pour la température.

Les conventions de dessins ne s’appliquent pas : soyez compréhensibles, mais laissez libre cours à votre imagination, qui peut donner des résultats bien plus riches que des formes imposées et généralement simplistes.

COMMUNIQUER

Communiquer ne se limite pas au support de la publication (un post sur les réseaux sociaux, une affiche, une image dans un mail), mais prend également en compte la façon de transmettre un message ou une intention à travers le dessin. Il faut donc y penser dès les premiers pas !

Tout d’abord, que voulez-vous faire passer comme message ? Vous voulez montrer ce que vous pensez de votre quartier, les bons et mauvais côtés ? Vous souhaitez montrer comment un piéton perçoit un espace en particulier ? Ou bien vous voulez juste tenter l’expérience pour le plaisir de le montrer à vos proches ? Dans tous les cas, fixez-vous un objectif de lisibilité et de clarté : on ne comprendra pas facilement vos gribouillis, tandis qu’une carte mise au propre et claire reste compréhensible par un public bien plus large sans difficulté de lecture.

La lisibilité et clarté des éléments dessinés est le point clé d’une cartographie sensible, à plus forte raison si le public visé ne fait pas partie de votre environnement direct (la commune ou une association). Pensez également que vous n’allez pas être présent pour décrire la carte et ses composantes, elle doit alors être compréhensible par elle-même, sans grand texte, sans la présence du cartographe, quelle que soit la qualification du lecteur (citoyens ou cartographes professionnels) et parfois même quelle que soit sa langue.

Quelques astuces.

La difficulté principale de cet exercice va être de dessiner un élément en 3 dimensions, ou une perception sensorielle de l’espace, en seulement 2 dimensions, à plat sur du papier et parfois avec seulement un crayon ou un feutre d’une seule couleur. Un bon conseil pour résoudre tous les problèmes : ne pas hésiter, ne pas attendre et surtout se décomplexer ! Ce n’est pas un concours d’entrée aux Beaux-Arts, mais plutôt un atelier où chacun partage sa vision des choses, et un petit dessin abstrait peut parfois en dire bien plus qu’une photographie.

Une autre difficulté est l’outil en lui-même. La carte papier a l’avantage de pouvoir être diffusée à large ampleur rapidement : imprimée sur différents supports, facilement publiée sur internet, etc. Mais elle nous fait perdre la notion de volume et ne permet pas toujours d’éveiller nos sens. Si vous vous sentez l’âme d’un créateur, vous pouvez tenter de créer des cartes en 3 dimensions en papier, en bois, en métal. La créativité n’a pas de limite, tant que le message est bien transmis. En bonus, vous aurez même l’occasion de (re)découvrir les paysages du quotidien qui vous entourent.

Et vous ?

Vous avez déjà essayé cet outil ? Que ce soit en centre-ville ou dans la campagne, n’hésitez pas à vous promener un peu partout, à dessiner votre environnement et à partager votre œuvre !

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